Jazz et géopolitique s’entremêlent dans le dernier long-métrage en date du réalisateur Johan Grimonprez. Le cinéaste / documentariste belge lève le voile sur un aspect oublié des indépendances africaines, et de ce que cela allait impliquer en pleine Guerre froide. On se rappelle qu’à peine arrivé au pouvoir, Patrice Lumumba, le premier ministre originel du Congo, fut très vite « éliminé ». Les circonstances de sa disparition brutale sont, en revanche, moins connues. En piochant dans des archives officielles, Grimonprez nous montre qu’une des régions du Congo est riche en uranium, matériau fissile dont les États-Unis estiment avoir grand besoin pour alimenter leur arsenal atomique sans cesse grandissant. Afin de garder la mainmise sur ces précieux gisements, la CIA va donc organiser un coup d’Etat.
Au même moment, des tournées de jazz sont organisées par le département d’Etat américain, et certains concerts ont lieu au Congo. Cela rend-il des stars du jazz, ayant participé à ces tournées, complices de cette affaire, fût-ce à leur insu ? Si la réponse n’est pas donnée, la communauté afro-américaine n’a pas pour autant dit son dernier mot : quelques mois plus tard, le batteur Max Roach, sa compagne, la chanteuse Abbey Lincoln, et nombre de leurs amis renversent la table au siège des Nations Unies, en protestant énergiquement. En juxtaposant les images de cet acte de rébellion et des extraits de l’album We Insist, Grimonprez nous fait comprendre que le jazz ne joue pas ici seulement le rôle de bande son, il constitue un personnage politique à part entière. Là où la politique divise pour conquérir, la musique, elle, rassemble. Le film rappelle la démarche de musiciens militants, qui in fine, préfèrent un coup d’éclat à l’ONU à un coup d’Etat au Congo.
Sur le plan cinéma, en calquant en partie sa structure sur une rythmique de jazz, le cinéaste expérimente et multiplie les techniques de montage et de mixage et brasse les genres cinématographiques. Le documentaire se fait alors clip musical, thriller politique, comédie burlesque…
Et quelques six décennies plus tard, grâce au travail de cet artiste / documentariste unique qu’est Grimonprez, la bande son militante peut se substituer à une autre, plus convenue.
Soirée en partenariat avec Doc-Cévennes, l’Université Paul Valéry de Montpellier et le Jam.